Documenter la métamorphose soudaine de sa ville: en professionnelle aguerrie, voilà l’impérieuse nécessité que ressent Karine Bauzin dès le tout début du confinement. Son fidèle Leica Q en bandoulière, elle sillonne Genève au guidon de sa Vespa des jours durant. Un ouvrage remarquable retrace son épopée.
Une période surréaliste, impossible à imaginer pour qui ne l’aura pas vécue. C’est ainsi que Karine Bauzin perçoit, dès la mi-mars, la situation totalement inédite qui paralyse la planète entière. Elle se lance aussitôt un défi: produire des images qui témoignent d’une ville désertée. Pétrifiée. Comme morte.
« J’avais beau traverser des zones habituellement bondées, situées en plein coeur de Genève, je ne croisais personne. L’ambiance, stupéfiante, rappelait celle d’un film. Sauf qu’il ne s’agissait pas de cinéma, bien sûr. » Pour une photographe volontiers portée sur le reportage à hauteur d’homme, l’étrangeté de la situation saute immédiatement aux yeux, en même temps que les repères disparaissent.
Pas de quoi déstabiliser Karine Bauzin pourtant. Le noir et blanc s’impose rapidement à elle, seul à même de retranscrire la dureté et la gravité de la situation. Tout comme une profondeur de champ importante – permettant à chacun de reconnaître aisément les lieux photographiés – ainsi que l’usage d’une focale unique, le 28mm.
« Une seule focale, qui plus est courte et donc exigeante, peut apparaître comme une contrainte inutile. Paradoxalement, l’usage du Leica Q et de sa focale fixe m’a grandement simplifié la prise de vue. Sans avoir à réfléchir à un éventuel changement d’objectif, je pouvais rester pleinement concentrée sur mon sujet. »
Au fur et à mesure que le reportage progresse, Karine Bauzin imagine comment ordonnancer au mieux les images. L’idée de revenir sur les mêmes lieux pour les photographier en couleur dès le déconfinement autorisé se fait jour. Une hospitalisation subite, sans aucun lien avec la situation sanitaire du moment, complique cette deuxième étape. Mais n’entame en rien la détermination de la photographe genevoise.
A peine remise, la voilà qui repart en chasse. Des conditions météorologiques particulièrement maussades lui compliquent la tâche, tout comme un déconfinement très progressif. Où sont les passants rieurs, avides de célébrer le retour à la vie? Les terrasses animées des cafés? Karine Bauzin a beau arpenter les lieux photographiés quelques semaines auparavant, elle peine à y trouver la trace colorée et joyeuse, porteuse d’espoir, qu’elle espère.
Elle s’obstine pourtant, la chance – ou sa persévérance! – lui offre finalement quelques belles rencontres, encourageantes. Elle tient son idée: la présentation des images se fera sous la forme de diptyques mêlant habilement le noir et blanc et la couleur, le confinement et la période de « l’après ». En moins de trois semaines, Karine Bauzin retourne sur chaque lieu, reprend ses repères pour obtenir un angle de vue semblable à celui adopté précédemment, et… attend que la vie veuille bien entrer dans le cadre!
« Cette deuxième partie s’est avérée plus compliquée que prévu. Un oeil rivé sur mon smartphone chargé des images en noir et blanc pour en retrouver le lieu et le cadrage, l’autre dans le viseur de l’appareil photo, voilà une gymnastique inédite pour moi! », s’exclame la jeune femme.
Un exercice certes périlleux, mais qui débouche sur un ouvrage remarquable. Post Tenebras Lux, selon la célèbre devise adoptée par la cité calviniste, présente dans sa première partie une photographie monochrome suivie de son alter ego en couleur. Dans la deuxième partie du livre, accessible en retournant celui-ci, Post Lux Tenebras adopte un enchaînement inverse. Histoire de rappeler qu’un vaccin n’est pas (encore) disponible… mais que l’espoir demeure!
L’ouvrage (CHF 25.-) peut être commandé à l’adresse suivante: https://goodheidiproduction.ch/edition/post-tenebras-lux/
Biographie
Etudiante, Karine Bauzin se destine à l’interprétariat. Elle change ensuite de cap et décide de se former à la photographie, aux Beaux-Arts, puis d’en faire son métier. Un métier qui la passionne depuis plus de 25 ans et l’emmène en qualité de photographe de presse à la rencontre des autres, pour le compte de Elle et Paris Match Suisse, Hors Ligne, Babymag ou encore Sphere Magazine. Elle fait partie de l’agence Regardirect. Après Un jour, tout bascule… (paru en 1999 aux Editions du Tricorne), Portraits-ge.ch (paru en 2003 aux Editions Slatkine) et C’est la lutte finale! (GOOD HEIDI Production), Karine Bauzin s’apprête à publier son quatrième ouvrage, Post Tenebras Lux (GOOD HEIDI Production).
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