Avide de rencontres et de découvertes, Andrey Gordasevich a tiré le portrait de 51 Burundais à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de leur patrie. L’occasion de recueillir dans un livre leur vision de ce que recouvre, pour chacun d’eux, cette notion abstraite.
Iradukunda Charissa Daniella, photographe, 24 ans – L’indépendance pour moi, c’est cette liberté que nous avons au quotidien, individuellement mais aussi dans chaque communauté et province du pays, de travailler à réaliser nos rêves. Le fait que nous ne parlions qu’une seule langue, que l’on soit attaché à travailler, boire, manger ensemble, de partager, comme une vraie nation, c’est ça qui solidifie l’indépendance au Burundi. Sinon, l’histoire la plus importante de ma vie, ce sont les moments que j’ai vécus avec ma grand-mère. Avec elle j’ai beaucoup appris sur la culture burundaise et l’histoire de notre pays, de nos ancêtres, leurs traditions, leurs rites, leurs coutumes, leurs proverbes… Comme on le dit en kirundi, «Uwutaye akaranga aba ataye ibanga», «Celui qui perd la culture perd un secret de la vie». Elle m’a fait rêver avec ses contes et anecdotes, impressionée et influencée dans ma pratique artistique, la photographie. Le témoignage qu’elle nous a laissé, je rêve beaucoup de le raconter à travers la photographie.
Bizimana Claude, mécanicien, 17 ans – Difficile à dire… Mais je crois que l’indépendance, c’est quand je peux venir de mon village et m’établir à Bujumbura, sans que mon origine ne m’handicape. L’histoire la plus importante de ma vie: je peux gagner de l’argent pour vivre, pour ma famille.
Uwimana Dative, modele, 24 ans (performe un pas de danse traditionelle symbolisant les cornes de vache) – L’indépendance pour moi, c’est pouvoir entreprendre des actions sans solliciter l’autorisation d’une tierce personne. Une définition qui s’applique autant à l’État qu’aux individus. C’est cela le choix libre. Le parcours de ma vie m’est important: ma famille n’étant pas riche, j’ai cultivé le courage, notamment celui de prendre mes décisions, d’agir seule. J’ai vite pris conscience de l’importance des valeurs d’une femme au Burundi: se préserver, ne pas recevoir de l’argent des hommes, et tout ça. Rapidement bâtir mon indépendance financière. C’est cela qui m’a permis de devenir Miss Populaire au Burundi, d’être choisie par le peuple en 2021.
Ndikumwenayo Augustin, travaille dans une briqueterie, 20 ans – Indépendance: c’est la liberté pour le pays, pour le Burundi. Mon histoire la plus importante? Je me suis cassé la jambe, au niveau du genou, en tombant d’un arbre quand j’avais 17 ans. J’ai demandé à Dieu de m’aider à guérir. Il m’a entendu. Maintenant, je peux vivre et travailler.
Nsavye Christian, journaliste à la radio Isanganiro, 47 ans – Je suis né en 1975. J’étais pionnier, je me préparais à sauver ma patrie. L’adolescence, je l’entamai lors de la période de multipartisme à partir de 1992. A l’université, j’ai étudié les sciences politiques, avant de me lancer en 2003 dans ma carrière à la radio. A y regarder de près, aucun de nous est vraiment indépendant. L’indépendance signifie se prendre en charge. Cela concerne l’éducation, la santé, les infrastructures. Cela signifie qu’on peut vivre sans compter sur autrui. Quant à la chose la plus importante pour moi, c’est mon travail. Une fois je suis allé dans un lointain hameau. On devait marcher, pas même de chemin pour une automobile. Arrivé à destination j’approche une femme qui travaillait aux champs et je la salue. Sans lever la tête, elle réagit instantanément : «Christian?!». Elle m’avait reconnu par ma voix de journ-liste. J’étais touché.
Nizigiyimana Fiacre, pécheur, 26 ans – Indépendance: c’est la liberté de prendre les décisions. Ce qui m’a le plus marqué dans ma vie, c’est la mobilisation de mes amis pour m’aider à guérir, après 9 ans avec une jambe malade et plusieurs séjours à l’hôpital. Maintenant je peux travailler.
Kaneza Diane, journaliste à la télévision, 39 ans – Indépendance: c’est la liberté de vivre liée à sa culture, voler comme un oiseau, réaliser ses rêves. De ma vie, ce qui m’importe le plus c’est l’inspiration que nous transmettent ces femmes burundaises silencieuses, qui travaillent de manière efficace, ces citoyens qu’on ne voit pas, qui sont là tous les jours, dans la famille, à l’école. Et cela concerne toutes les femmes du monde. On devrait mettre des projecteurs sur elles. Ces histoires des femmes simples – on doit les raconter.
Manirakiza Aimable, maroquinier, 20 ans – Indépendance: c’est la liberté de travailler tranquillement, sans que personne ne te dicte quoi faire. Je suis fier de mon travail dans la maroquinerie, c’est mon métier de rêve, un rêve devenu réalité: voilà ce qui m’importe le plus dans mon histoire personnelle.
Mbonerane Albert, environnementaliste, 69 ans – Indépendance: c’est la liberté d’agir selon des projections dans l’avenir. En 1993, je représentais le Burundi en Allemagne et en Autriche, et j’ai vu comment les gens se battaient pour l’environnement. Je me suis alors engagé pour avoir un parc public dans la ville de Bujumbura. Je garde près de moi ces mots du Pape Benoît 16: «La terre parle, écoutons ce que la terre nous dit».
Niyonzima Évangéline, rizicultrice, 41 ans – Indépendance: c’est la liberté de pouvoir travailler, de circuler, de célébrer cet état d’être indépendant. Le jour de mon mariage et la naissance de notre premier enfant sont les choses les plus importantes dans ma vie.
Mai 2022. Après avoir minutieusement préparé son périple, le photographe Andrey Gordasevich s’envole pour Bujumbura, capitale économique du Burundi. Avec l’aide et le précieux soutien de la Direction du développement et de la coopération suisse (DDC) et des autorités de ce pays de l’Afrique de l’Est, il s’apprête à passer trois semaines intenses. Au programme? Une série de portraits et des interviews centrées sur deux questions récurrentes à la portée universelle.
« Que signifie pour vous l’indépendance? » et « Quelle est l’histoire la plus importante dans votre vie? ». Mécanicienne, avocat, danseur, élève, banquier, artiste, chauffeur de taxi, modèle, journaliste radio, dessinatrice, pêcheur, musicien, ou encore rizicultrice; l’éventail particulièrement large des profils choisis dit le soin apporté à la recherche de diversité. Une évidence qui saute aux yeux du lecteur du très bel l’ouvrage qui vient de voir le jour, Burundi – Portraits de l’Indépendance.
« C’était un voyage d’une grande diversité, visuellement unique, permettant de rendre compte de façon intime et pudique de la perception de l’expérience sociale et politique de l’évolution du pays », précise le photographe.
Dans sa sacoche, un Leica SL2 et plusieurs optiques de la marque de Wetzlar. « J’utilise de longue date des boîtiers Leica. Des M, des S, et cette fois-ci un SL2. J’ai particulièrement apprécié la discrétion de son obturateur électronique dans un pays où il s’avère très rare de croiser une personne en train de photographier. » Andrey Gordasevich n’a pas manqué de profiter de la possibilité de monter sur le boîtier des optiques des différents systèmes Leica.
Avec un adaptateur, le Leica SL2 permet en effet l’usage d’optiques variées. « J’ai opté pour le Leica APO-Vario-Elmarit-SL 90-280 mm f/2.8-4 pour les paysages notamment, une focale fixe de 21mm du système M pour les cadrages larges et, pour les portraits, et un zoom 35-70 mm prévu initialement pour être monté sur un boîtier R. Cette versatilité du SL2 s’avère un atout très utile sur le terrain et ces combinaisons fonctionnent parfaitement », précise le photographe.
Pour conserver le naturel des scènes de vie capturées, Andrey Gordasevich n’a pas hésité à déclencher à l’instinct, sans même viser. « En tant que Blanc, difficile de passer inaperçu lorsqu’il s’agit de capter l’atmosphère d’un pays tel que le Burundi. D’autant que je photographie souvent au 21mm, une longueur focale qui implique une forte proximité avec les sujets. Aussi j’ai souvent déclenché avec le boîtier à hauteur de poitrine, en utilisant l’obturateur électronique, silencieux. »
Si de nombreux défis ont bien évidemment dû être surmontés tout au long du reportage, l’ouvrage qui en résulte constitue un précieux témoignage, à la fois historique et artistique, du pays et de ses habitants à l’aube d’un anniversaire ô combien essentiel, celui de l’indépendance. Une exposition* organisée au Leica Store de Genève permettra de découvrir le remarquable travail d’Andrey Gordasevich et de se procurer son livre.
Burundi – Portraits de l’Indépendance
Concept, photographies et interviews: Andrey Gordasevich
Textes: Roland Rugero (éditions Gusoma)
Livre produit par le Bureau de la Coopération Suisse et Grands Lacs-Burundi
* Exposition au Leica Store Genève (place de Saint-Gervais 1) à partir du 10 mars.
Acheter le livre
www.gordasevich.ru
www.instagram.com/gordasevich
Biographie
Né à Moscou en 1974, Andrey Gordasevich se passionne très tôt pour les timbres des colonies anglaises, puis les monnaies étrangères. Pas courant pour un jeune garçon à l’époque soviétique. Derrière ces intérêts particuliers se cache un goût marqué pour la découverte et l’étranger. Après des études universitaires en relations publiques, en droit et en langues étrangères, il choisit de se consacrer pleinement à la photographie. Aussi attiré par la photographie de rue que par les projets documentaires, Andrey Gordasevich a vu son travail intégrer la collection du Musée d’art multimédia de Moscou et certains de ses livres d’artiste primés à l’international.
Andrey Gordasevich vit actuellement a Berne.
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