Il est né en Suisse mais n’y a jamais vécu. Après de nombreuses années passées à sillonner les zones de guerre et de crise, le photographe Dominic Nahr revient dans son pays natal et l’observe avec les yeux d’un étranger. Un point de vue surprenant sur sa nouvelle patrie qui est aussi son pays d’origine – un regard simultané de l’intérieur et de l’extérieur.

La zone interdite à Fukushima, un camp de réfugiés en Irak, les régions en guerre dans le Soudan du Sud, au Mali et en Somalie. Et maintenant la Suisse rurale. Un entretien abordant les images d’enfance et la patrie, l’Europe et l’Afrique, et les atouts de l’aéroport de Zurich.


Vous êtes de retour dans votre pays natal, la Suisse. Pourquoi ce déménagement?

Je suis né en Suisse par hasard; ce n’était pas prévu. Après ma naissance, nous sommes immédiatement rentrés à Hong Kong où mes parents résidaient jusqu’alors. Je n’ai donc jamais vécu en Suisse. Mais après de nombreuses années de vagabondage, j’en ai eu assez
de chercher sans cesse de nouveaux endroits que j’appelais temporairement «chez moi». Je me suis dit que j’allais laisser mon passeport déterminer où serait ma maison.

Qu’est-ce que cela a changé?

Depuis dix ans que j’habitais en Afrique, j’ai remarqué qu’il était temps de changer quelque chose. Ce sont surtout les événements culturels qui m’ont manqué – je viens par exemple d’aller à un festival du film à Zurich. Cette ville est aussi idéale pour moi en raison de son aéroport; je suis ainsi parfaitement connecté. Et d’un point de vue professionnel, je peux
couvrir deux continents: l’Afrique, que je connais bien, et l’Europe où je vis.

Et vous vous consacrez donc à photographier votre nouvelle patrie?

Oui, mes photos sont une sorte de coupe transversale de toute la Suisse, à part les villes que j’ai intentionnellement laissées de côté. Ces images ont presque toutes été prises au cours de cette année et ce travail m’a donné une merveilleuse opportunité de découvrir le pays. Il existe bien sûr des différences d’une région à l’autre, notamment linguistiques et culturelles, mais rétrospectivement je peux dire que tout le monde s’est montré très ouvert et engagé pour me faire découvrir sa Suisse.

Aviez-vous déjà réfléchi à l’image de la Suisse que vous souhaitiez véhiculer?

Ma mère m’avait raconté beaucoup d’histoires et de fables de son pays natal. C’est exactement ce que je recherche maintenant: transcrire en images les histoires de ma mère.

Auparavant, vous aviez principalement travaillé dans des zones de guerre ou de crise. Votre langage visuel a-t-il évolué avec ce changement de sujet?

Avant mon déménagement, j’avais imaginé que ce changement s’exprimerait aussi à travers mon langage visuel. Mais ce n’est pas le cas, je ne vois aucune différence avec l’Afrique ou le Japon. Un agriculteur rencontre pendant mon travail en Suisse m’a dit que je mettais vraiment du cœur a l’ouvrage. Et là, peu importe quelle est l’histoire que l’on cherche à photographier.

 

Il n’est donc pas plus difficile d’aborder des pays étrangers que son pays d’origine?

 

Cela ne joue aucun rôle, à partir du moment où on tisse des liens personnels avec les gens que l’on rencontre. Lorsque je pense à certains de mes précédents travaux, je me sens soudainement comme un aventurier en Suisse. Je peux me déplacer seul, sans interprète

Ou auteur, et j’arrive à communiquer avec toutes les personnes que je rencontre. Tout le monde réagit avec une ouverture d’esprit qui me surprend. En tant que photographe, on a l’immense privilège dépourvoir beaucoup voyager et découvrir le monde – une excellente occasion de découvrir mon nouveau chez-moi.

Avez-vous parfois l’impression de rater des événements dans d’autres lieux ou de passer à côté d’histoires importantes à raconter?

Il existe tant de jeunes photographes talentueux qui prennent des photos impressionnantes; toutes ces histoires seront malgré tout racontées un jour, je ne me fais aucun souci. En Suisse aussi, des tas d’histoires attendent d’être découvertes. Beaucoup de gens doivent

Se battre, ce qu’on a évidemment du mal à imaginer a première vue car la Suisse est un si beau pays. Mais cette belle image, c’est celle qu’on veut donner aux touristes. De nombreux agriculteurs manquent d’argent pour assurer un avenir à leur exploitation agricole. Ce n’est qu’en travaillant en Suisse que j’ai réellement pris conscience que ce monde idéal n’existait pas.

Avez-vous l’intention de continuer à vous consacrer à photographier la Suisse?

J’ai la ferme intention de le faire: il y a quelques événements d’hiver que je ne veux pas manquer comme les carnavals traditionnels. Mais je retournerai aussi à Fukushima pour continuer à documenter les conséquences de la catastrophe nucléaire, un travail que je poursuis depuis le tremblement de terre de 2011. J’ai aussi gagné une nouvelle énergie et je suis à la recherche de nouveaux lieux ou travailler. Je connais à peine l’Europe. Les pays de l’Est me tenteraient bien, la Moldavie par exemple.

Devrions-nous prendre davantage conscience de notre environnement immédiat?

C’est un conseil que je donne à tous les étudiants qui fréquentent mon cours a la Haute école spécialisée de Hanovre: essayez de faire de la photo le plus près possible de là ou vous êtes. Je suis a présent ici, en Europe, et je peux voir ma nouvelle énergie dans mes photos. Il faut faire attention de ne pas se perdre dans le monde créatif. Je ne sais pas encore si Zurich n’est qu’une escale, on verra bien. Mais pour le moment j’ai le sentiment que c’est la Suisse que je réfléchis le mieux.

Avec quel équipement allez-vous exprimer cette nouvelle énergie?

Lors de mes derniers déplacements, j’ai travaillé avec le Leica M et le Leica Q. J’utilise toujours le Q quand il fait sombre et que l’autofocus est utile. Je prends alors mes photos de la hanche, directement à l’écran ce qui est parfait avec ma taille. C’est avec ce matériel que j’aimerais continuer à me déplacer.

Interview: Katrin Iwanczuk

Dominic Nahr

Né en Suisse en 1983, il grandit à Hong Kong. Etudie le cinéma à la Ryerson University’s School of Image Arts à Toronto, Canada. Travaille dans les zones de crise à travers le monde.

Lauréat de différents prix, dont le Leica Oskar Barnack Newcomer Award 2009 pour un reportage sur la guerre civile au Congo. En 2017, il est finaliste du Leica Oskar Barnack Award grâce à ses images sur Fukushima.